En 1885, l’industriel américain George Eastman invente la pellicule souple et mobile. Cette invention est suivie, en 1888, du « fusil chrono-photographique » d’Étienne-Jules Marey qui permet de prendre en une seconde cinq images photographiques instantanées, et en 1895, de la première caméra des frères Lumière.
Ces premières inventions sont rapidement utilisées dans le contexte de collecte de données et d’objets sur les populations des pays dépendants des puissances coloniales, présentés dans les métropoles occidentales au cours d’Expositions universelles. En 1895, l’une d’elle se tient sur le Champ de Mars à Paris et accueille une exposition dédiée à l’Afrique occidentale. Muni du chronophotographe de Marey, Félix Louis Régnault y filme les marches d’un homme peul, d’un Wolof, d’un Dioula, ainsi que la fabrication d’une poterie par une femme wolove. Il réalise ainsi les premiers essais du « cinéma ethnographique ». Persuadé de son intérêt pour comparer les populations étudiées et développer l’ethnologie, il conseille aux musées d’ethnographie européens d’ajouter des chronophotographies à leurs collections d’objets. À partir de cette époque, des missions scientifiques anglaises et allemandes embarquent du matériel d’enregistrement, dans le Pacifique et en Afrique du Sud, tandis que les Américains filment les Indiens. En 1909, le banquier Albert Khan, conscient de la nécessité de l’enregistrement des activités et des comportements qui pourraient disparaître sous le coup de la modernité, lance, avec l’opérateur Jean Bruhnes, un programme de captation cinématographique dans 60 pays (1909-1931) : 140 000 mètres de films et plus de 70 000 photographies autochromes composent les Archives de la planète aujourd’hui conservées à Albert-Khan, musée et jardin départementaux (Boulogne-Billancourt).
En 1920, l’ingénieur américain Robert Flaherty est chargé du relevé géographique et géologique de la côté Est de la baie d’Hudson, dans le Grand Nord canadien. Il emporte avec lui une caméra de 35 mm et filme le quotidien d’une famille inuit. Malheureusement cette première expérience est un échec, le laboratoire installé sur place est détruit par un incendie. De retour dans le Grand Nord à la fin de l’année 1920 et pendant quelques mois, Flaherty réalise le film Nanook l’Esquimau qui sort en salle en 1922. Trente ans plus tard, le cinéaste et ethnologue Jean Rouch le considère comme le premier film ethnographique jamais réalisé. Selon lui,
« il se s’agissait pas de faire un ‘documentaire’, d’enregistrer des éléments de la vie ‘primitive’, mais de raconter l’histoire vieille comme le monde de la lutte d’un homme contre une nature prodigue en souffrances et en bienfaits ».
Bien des années après, en 1934, sort sur les écrans le premier film d’un ethnologue français, Patrick O’Reilly, tourné en Mélanésie. Quand aux films réalisés par l’ethnologue Marcel Griaule, lors de la "mission Dakar-Djibouti" commandée par le musée d’Ethnographie du Trocadéro (1931-1933), ils sont diffusés en 1935 pour Au pays des dogons, et en 1938 pour Sous les masques noirs.
Entre les années 1910 et 1940, l’invention du cinéma sonore, puis parlant, et le développement d’un matériel léger (16 mm) ouvre de nouvelles perspectives au film ethnographique. Le musée de l’Homme inauguré en 1938, conscient des enjeux du cinéma pour la diffusion des savoirs est le premier musée au monde à se doter d’une salle de projection.